La lune est un astre familier, qui nous accompagne depuis la nuit des temps. Un symbole de féminité – le yin de la tradition taoïste –, une « mère » cosmique auréolée de mystère et dotée de puissants pouvoirs. « La lune, écrit Jung, c’est cette lumière continuellement changeante dans la nuit, la sphère nocturne de l’expérience humaine (in L’Analyse des rêves, Albin Michel). » Symboliquement, elle se situe du côté obscur de la force, dans notre part d’ombre. Et d’ailleurs, nombreux sont celles et ceux, « mal lunés » ou « lunatiques », qui rendent la pleine lune responsable de leurs sautes d’humeur. « Ma compagne justifie ses coups de colère ou d’agacement par la pleine lune, sourit Romain, 35 ans. »
Romain fait partie des sceptiques, mais la croyance populaire dans l’influence de ce satellite terrestre sur notre corps et notre esprit remonte à des millénaires, et reste vivace. Les marins et les jardiniers le savent bien, qui prennent la mer ou sèment leurs graines en fonction de ses phases, croissantes ou décroissantes. Or, si la nature est tributaire des cycles lunaires, pourquoi pas nous ? Notre corps étant composé à 80 % d’eau et l’action de la lune sur les marées étant démontrée, le bon sens nous invite à le penser.
Un sommeil plus court
Les nuits de pleine lune, Marie, 48 ans, qui dort plutôt bien d’habitude, a le sommeil perturbé : « Je me réveille plusieurs fois de façon soudaine, avec l’impression d’être hyperlucide, tous mes sens en éveil, comme un animal aux aguets. » Certains de ses amis s’en gaussent, mais la science vient de donner raison à Marie. Une équipe de biologistes suisses de l’université de Bâle apporte en effet pour la première fois les preuves tangibles des incidences du cycle lunaire sur le sommeil (« Evidence that the lunar cycle influences human sleep » de Christian Cajochen et al. in Current Biology, juillet 2013). En observant l’activité cérébrale, les mouvements oculaires et les sécrétions hormonales d’un groupe de trente volontaires endormis – qui n’étaient pas au courant du sujet de l’étude pour que leurs croyances personnelles ne biaisent pas les résultats –, les chercheurs ont constaté un phénomène qui les a stupéfiés. Durant les quatre jours qui précèdent et qui suivent la pleine lune, la durée totale de sommeil est écourtée de vingt minutes et il faut cinq minutes de plus pour s’endormir, tandis que la phase de sommeil profond est écourtée de 30 %… Un pavé dans la mare scientifique, alors que la majorité des études effectuées jusqu’alors avaient balayé l’hypothèse de l’influence lunaire sur nos cycles biologiques.
La concordance des cycles
Dans les services d’urgence, les soignants font eux aussi l’expérience du caractère singulier des nuits de pleine lune… Isabelle, 45 ans, ancienne interne, se souvient : « Comme si elle accroissait les états d’anxiété, ces nuits-là, nous recevions beaucoup plus de patients aux urgences psychiatriques. » Dans les maternités aussi, c’est l’effervescence, alors qu’il n’y a pourtant pas davantage de naissances. « Toutes mes copines enceintes ont commencé à surveiller la date de la pleine lune à partir du huitième mois, raconte Audrey, 34 ans. Toutes ont été déçues de ne pas avoir accouché cette nuit-là ! » Si, dans l’inconscient collectif, la pleine lune est supposée déclencher la naissance, c’est en raison de l’étonnante similitude entre le cycle lunaire, de vingt-huit jours, et le cycle menstruel moyen des femmes occidentales. Leurs quatre phases sont en effet symétriques : la phase préovulatoire correspond à la lune croissante ; l’ovulation, à la pleine lune ; la phase prémenstruelle, à la lune décroissante ; la menstruation, à la nouvelle lune.
Une sensibilité féminine
Superstition ! répondent les rationalistes. Et alors ? « Si croire que la lune va déclencher un accouchement attendu d’un jour à l’autre permet à une femme de lâcher prise, de se mettre à l’écoute de son corps et, par conséquent, de mettre au monde son enfant, tant mieux ! tempère le docteur Henry Puget, pionnier des médecines naturelles. Cela peut lui permettre d’accoucher dans l’harmonie et la confiance. » Le spécialiste, qui s’est penché sur les croyances de ses confrères en matière lunaire, constate au passage qu’en public les médecins adoptent un scepticisme scientifique de rigueur, tandis qu’en privé tous relatent des expériences qui les ont troublés (In Lune et santé, mode d’emploi d’Henry Puget, Minerva). Psychiquement et physiquement, nous ne sommes pas tous égaux face à la lune. Chacun a ses croyances, son propre rapport à l’environnement et à la nature, une capacité différente à écouter ses sensations et un seuil de sensibilité – à la douleur, aux émotions, etc. – qui lui est propre. Est-ce pour cela que les femmes, habituées depuis l’adolescence aux métamorphoses de leur corps, disent davantage que les hommes être sensibles aux effets de l’astre ? Y croire ou ne pas y croire, en définitive, là n’est pas la question. Car l’essentiel, c’est bien ce que nous ressentons, corps et âme à l’unisson.